La profession d’écrivain, métier ardu mais gratifiant, suscite de nombreux questionnements. Thierry Beinstingel, écrivain professionnel qui se consacre à ce processus d’une façon artistique et engagée, accepte de livrer sa vision du métier.
Écrivain, un métier à part entière
Pour Thierry, être écrivain, c’est un véritable emploi, un métier à part entière, ce qui l’a poussé récemment à démissionner de chez Orange. Cet aspect professionnel est notamment étayé par un point économique, comme il le dit lui-même :
« Dès lors que j’ai été capable de gagner un peu d’argent avec mes textes, j’ai considéré le fait d’être écrivain comme un métier. Un métier aussi parce qu’il s’acquiert avec l’expérience. »
Passé de la maison d’édition de Thierry Gueniot à Langres à la maison Fayard, Thierry Beinstingel lie également beaucoup la notion d’apprentissage et d’expérience au phénomène de professionnalisation. Un métier est une chose qui se pratique régulièrement et s’apprend. De ce point de vue, l’écriture ne fait pas exception. Ainsi M. Beinstingel n’a-t-il jamais placé aucun de ses deux emplois au-dessus de l’autre, durant l’époque où il était écrivain et cadre chez Orange. Cela n’a pas empêché ses collègues d’Orange de le considérer parfois comme un écrivain qui a un autre emploi. Ses collègues écrivains le voyaient, eux, souvent comme un employé d’Orange qui touchait à l’écriture.
Un travail ardu, mais gratifiant
Exercer cette profession d’écrivain nécessite des efforts, d’autant plus que Thierry Beinstingel a commencé en travaillant également au Central d’Orange. Ses études scientifiques ne le prédestinaient pas à aller vers ce métier d’écrivain. Il se dresse contre le mythe que l’on cultive allègrement en France, celui de l’écrivain inspiré. Il réfute l’image de ce Baudelaire, ou de ce Rimbaud – que pourtant Thierry adore – mais qui dans la psyché collective faisaient publier des chef-d’œuvre sans se donner de mal :
« On fait toujours perdurer en France la posture de l’écrivain inspiré, […] l’auteur qu’on ne voit jamais travailler mais qui publie régulièrement des ouvrages jugés bons. »
Or la réalité du métier est tout autre : il faut travailler chaque jour, se mettre à l’ouvrage, et vouloir coller au plus près possible à la réalité que l’on décrit, armé de son bloc-notes, ou de son ordinateur comme le fait Thierry, dans ce qu’il surnomme sa forme de « work in progress ». Le travail – et le re-travail – sont les maîtres-mots de l’activité d’écriture. L’écrivain peut parfois passer une heure à chercher la meilleure formulation possible et demeurer malgré tout insatisfait. L’aspect ardu du métier peut également s’exprimer d’un point de vue plus personnel, notamment lorsque l’on rédige des pages assez autobiographiques.
Ce métier permet également de pratiquer des activités annexes, comme l’animation d’ateliers d’écriture avec des migrants, par exemple. M. Beinstingel, proche de son public mais aussi des gens en général, apprécie cela. Ce travail lui permet d’aider les autres, mais aussi de se remettre en question et de solidifier son engagement.
Un processus créatif artistique et engagé
C’est parce qu’il a commencé à écrire à propos des suicides chez Orange qu’on a d’office attribué à Thierry cette étiquette d’écrivain du travail, engagé. Cette vision ne le dérange d’ailleurs pas – même s’il écrit également d’autres types de textes. Ce qualificatif d’ « écrivain engagé » vient aussi de la tournure étonnante du premier livre de M. Beinstingel, CV roman. La langue employée y est très technique et semblable au vocabulaire du monde du travail, pas à celui de la vie courante. L’ouvrage Ils désertent, qui a obtenu en 2012 le prix du roman populiste Eugène Dabit, fait également montre d’un processus de création engagé par les thèmes abordés. Il a également été republié par Le Livre de Poche, du fait de son succès. Écrire, c’est aussi un processus artistique car l’histoire et les personnages sont inventés. Parfois la sensation de nécessité, d’urgence, a conduit Thierry à s’exprimer dans ses œuvres. C’est le cas par exemple dans son premier roman publié chez Fayard, qui traite des suicides chez France Télécom. L’excellent article de Marc Loriol évoque ce roman. L’énergie et la liberté de l’écriture de Thierry lui permettent un engagement social servant une vision artistique et engagée novatrice.
Pour résumer : oui, être écrivain c’est un métier. Oui, c’est un métier passionnant qui permet de s’engager et de créer. Mais c’est aussi un métier ardu, qui demande des efforts et de l’application, et qui n’est malheureusement pas toujours reconnu à sa juste valeur.
Marie-Charlotte Rivière, Master 2 Métiers du Livre, 2019-2020