La littérature jeunesse est souvent reconnue pour son excellence artistique et son caractère innovant. Elle a pourtant longtemps été considérée comme un sous-genre éditorial. Les enjeux qu’elle recouvre – économiques ou de l’ordre de la médiation – mobilisent un étroit maillage d’acteurs. Une grande majorité parmi eux œuvre pour son décloisonnement et pour la hisser définitivement au même rang que la littérature générale.
Richesse de la création et revers de la surproduction
À l’instar de la littérature générale, la littérature jeunesse est portée haut par un large panel de maisons d’édition, de toutes envergures. Au sein de ce paysage pléthorique on identifiera des structures de poids telles que Nathan ou encore Bayard, ainsi que l’incontournable École des Loisirs. Bon nombre de maisons plus modestes bénéficient également d’une renommée et d’une longévité les classant parmi les valeurs sûres du secteur (MeMo, Rue du Monde, Syros, Thierry Magnier…). Et puis, aux côtés de ces établissements bien installés, émergent régulièrement de nouvelles identités bien marquées, audacieuses et souvent en lice de prix littéraires prestigieux (Little Urban, Sarbacane, Les Fourmis Rouges, etc). Comme dernier marqueur de la vitalité de ce domaine, notons que les grandes maisons d’édition du secteur général ne manquent pas de développer leur département jeunesse, pesant incontestablement sur le marché (Gallimard Jeunesse, Albin Michel jeunesse, Actus Sud Junior…). Dès lors, l’enjeu d’une littérature dédiée aux plus jeunes comme outil éducatif d’excellence n’est plus le seul à motiver la multiplication exponentielle des créations.
Le développement du secteur éditorial jeunesse s’accompagne ainsi d’une forte augmentation de la production. Ceci fait de lui le troisième segment en valeur de chiffre d’affaires de l’édition française. Il faut y voir à la fois le signe d’un dynamisme réjouissant mais aussi un facteur de fragilité pour l’ensemble de la chaîne du livre. Effectivement, les éditeurs jeunesse se retrouvent confrontés au même écueil que leurs confrères en littérature général : l’océan de nouveautés publiées noie toujours davantage les titres, les invisibilisant ainsi que leurs auteurs. S’ajoute à cette problématique les phénomènes de séries à succès (Petit ours brun, Le Loup, TroTro…) qui peuvent aussi faire écran à la diversité réelle de la création. Plusieurs conséquences matérialisent les travers de cette surproduction : une plus grande précarité du statut des auteurs et illustrateurs qui peinent à faire reconnaître leur valeur, une trésorerie à surveiller avec vigilance par les éditeurs puisque le risque des retours de titres invendus s’accroît, l’encombrement des librairies où ces titres ont à peine le temps « d’exister ».
Pour autant, fidèles à une philosophie largement partagée dans un secteur éditorial jeunesse résolument tourné vers l’avenir, les acteurs de la chaîne portent une réflexion poussée sur ces questions. La profession semble déterminée à s’organiser en filière responsable, à la hauteur des défis à relever pour une amélioration durable et assainie de l’activité. Les réseaux s’organisent et les retours d’expérience collectifs aboutissent à des plans d’action concrets.
Les réseaux professionnels en réflexion et en action
Les auteurs et illustrateurs unissent leurs voix
Créée en 1975, la Charte des auteurs et illustrateurs est une association qui milite pour une meilleure reconnaissance des créateurs du secteur éditorial jeunesse. Ces derniers sont encore souvent dépréciés sur la valeur de leur travail, moins bien rémunérés et subissent des conditions d’accueil plus précaires dans les salons. La Charte intervient donc auprès des pouvoirs publics et de l’ensemble des partenaires concernés pour faire évoluer positivement leurs droits. Avec des prises de position souvent engagées, elle est aussi l’initiatrice de questionnements éthiques au sein de la profession : par exemple, elle organisait le 5 octobre 2020 les premiers « états généraux de l’égalité dans la littérature jeunesse » afin de faire l’état des lieux de la question et d’esquisser un plan d’action concret.
Les éditeurs fédérés par des institutions
De leur côté, bien que fortement soumis à la loi de la concurrence, les éditeurs jeunesse peuvent compter sur des institutions également spécialisées pour déployer toujours mieux la médiation autour de leurs collections. Le Centre National de Littérature pour la Jeunesse, intégré à la BNF, offre un catalogue de formations pointu et rassemble toutes les ressources utiles à la promotion du secteur. Le Syndicat National de l’Édition organise quant à lui, chaque année, les « assises de la jeunesse », réunissant tous les acteurs de la chaîne du livre pour établir un bilan et des perspectives. On peut également citer dans ce registre d’action le Salon du livre et de la Presse jeunesse de Montreuil qui certes est un événement, mais qui au fil des ans est devenu une véritable institution : des formations sont également proposées dans son cadre ainsi qu’un grand nombre de ressources, précieuses pour les professionnels et le grand public.
La french touch, quelle valeur et quelle reconnaissance ?
À l’international, la Foire du livre jeunesse de Bologne (avec Camille Jourdy en 2020) ; à l’échelle nationale, le SLPJ de Montreuil est devenu une véritable institution (les « pépites » sont très prescriptives) ; au niveau régional les salons jeunesse sont des rendez-vous prisés et génèrent une forte mobilisation du public (Crocmillivre à Dijon par exemple).
Sur le plan de la traduction, un essor est à noter pour le volet des cessions de droits à l’étranger. Cet indicateur du chiffre d’affaires de l’édition jeunesse atteste de la renommée du secteur dans le monde, véritable enjeu pour le rayonnement culturel de la France.
Émilie Vailleau – M2 Métiers du Livre